En lisant les deux articles ci-dessous je viens de m'apercevoir que nous (les militants républicains de la Laïcité), en France, nous n'oserions peut être plus émettre de telles opinions, pourtant si vraies et si simples à comprendre. Qui sait de quoi nous nous ferions insulter... :
ALBAN KETELBUTERS (Doctorant aux départements de Lettres et d'études féministes de l'Université du Québec à Montréal)
" Ficelle un peu usée que celle qui présente les musulmans de France - et a fortiori les musulmanes - comme des victimes, pour mieux peindre en bourreau islamophobe quiconque ne chante pas les louanges d'un multiculturalisme qui ne dit pas son nom.
Ce discours, rhétorique de la gauche sans-frontiériste et antirépublicaine, est devenu aussi lassant qu'anachronique. Revenons-en aux fondamentaux: il y a vingt-sept ans dans L'un est l'autre Élisabeth Badinter écrivait que "le patriarcat n'est pas un simple système d'oppression sexuelle. Il est aussi l'expression d'un système politique qui a pris appui, dans nos sociétés, sur une théologie. [...] Même si les femmes en furent les ultimes bénéficiaires, le bouleversement idéologique introduit par la Révolution française, la plus décisive des révolutions du monde occidental, portait un coup mortel à tout pouvoir imposé par la grâce de Dieu et par la même à toute idée de supériorité naturelle de l'Un sur l'Autre". Henri Peña-Ruiz, dans Qu'est-ce que la laïcité?, affirme à raison que "la question des droits des femmes est représentative de tout ce qui se joue en matière de liberté, d'égalité et d'émancipation. [...] La lapidation pour adultère, la privation d'étude, l'ensevelissement du corps sous la burkha afghane, et l'imposition d'un grillage de toile sur les yeux, ne sont que la pointe extrême d'un cléricalisme radicalisé en intégrisme, et dont aucun monothéisme ne fut préservé, si du moins l'on veut bien réinscrire le présent dans l'histoire longue de la liaison dangereuse entre religion et politique".
L'affaire Baby Loup n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les revendications identitaires et communautaristes prolifèrent dans notre République: exigences alimentaires dans les cantines au nom de telle ou telle religion, dérogations en tous genres, refus grandissant de la mixité, conflits dans les hôpitaux publics, non respect de la loi de 2010 sur le voile intégral dans l'espace public, demandes de salles de prière dans les universités, revendications dans les entreprises, etc. Christine Delphy, adversaire de longue date de la laïcité, écrivait récemment que "les entreprises [...] répondent aux demandes religieuses [...] dans l'esprit de 1905. Quelle ironie que ce soit d'elles que vienne cette leçon de respect des principes républicains". Et la féministe d'affirmer que "nous assistons à une dérive autoritaire, à une sorte de totalitarisme en pente douce".
Ces propos inqualifiables témoignent d'une complaisance incompréhensible à l'égard des régimes théocratiques dans lesquelles survivent nos voisines tunisiennes ou égyptiennes. La laïcité est le plus beau message que la France puisse adresser aux femmes du monde entier qui luttent au quotidien pour expurger les sphères politique et publique de toute emprise religieuse. S'acheminer vers une République « d'accommodements raisonnables » à l'anglo-saxonne constituerait une régression politique inouïe.
Comment peut-on se réclamer du féminisme et encourager des comportements qui étayent la thèse selon laquelle pouvant susciter désir et pêché, les femmes devraient se dissimuler aux yeux des mâles qui l'environnent? Comment peut-on se réclamer du féminisme dans une démocratie occidentale et applaudir la présence, dans nos amphithéâtres, d'étudiantes en niqab? À quand un plaidoyer séparatiste en faveur des burkinis dans nos piscines municipales, à l'image de la Norvège qui le tolère depuis quatre ans?
Oui, il faut réaffirmer la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics et l'étendre à la sphère universitaire. Les élèves comme les étudiant-e-s sont dans ces institutions des sujets de droit et non l'étendard prosélyte de telle ou telle conception religieuse.
N'en déplaise au Comité des droits de l'Homme de l'ONU qui "condamne la France à revoir la loi du 15 mars 2004", l'école de la République n'a pas vocation à exacerber les particularismes coutumiers, religieux ou identitaires. Il en va de même pour la loi de 2010 interdisant le port du voile intégral dans l'espace public: accepter, tolérer ou relativiser un uniforme-étendard du wahhabisme (une doctrine salafiste d'Arabie Saoudite) ou des pachtounes d'Afghanistan - symbole indissociable des "talibans, de la lapidation, de l'interdiction de l'école pour les petites filles, de la pire condition féminine du globe" comme l'avait rappelé Élisabeth Badinter - aurait défiguré notre identité laïque et républicaine. Fallait-il, selon l'expression de Djemila Benhabib, "laisser déambuler dans nos rues des cercueils"? Défendre le salafisme au nom des libertés religieuses en dit long sur l'état de délabrement intellectuel de certaines institutions.
La France est une grande nation. Elle est écoutée et regardée dans le monde entier. Cela l'investit d'une immense responsabilité. Qu'elle n'ait pas peur de défendre la laïcité pour ce qu'elle est, à savoir un idéal universaliste."
Elisabeth BADINTER :